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La photographie de naissance ; bien plus que des souvenirs.



«Des photos pendant l'accouchement là..... (moment de silence)» C'est souvent la première phrase que j'entends lorsque je mentionne ma spécialité en photographie. Oui, je documente le moment de la naissance. Généralement du travail actif jusqu'aux deux premières heures suivant la rencontre. 

Pourquoi donc avoir choisi cette branche disons le peu orthodoxe de la photographie ? Pourquoi ne pas m'en tenir aux belles bédaines pleines de vie et les nouveau-nés ? Il s'agit pour moi d'une évidence, mais je comprends l'hésitation de certaines personnes ; particulièrement à laisser quelqu'un entrer dans la bulle intime de cette journée. 

«Ça va faire mal et je vais déféquer en poussant ...géniiiiiial» Reculons quelques années en arrière pour bien comprendre ma motivation. J'étais à l'époque une jeune infirmière en périnatalité et j'attendais mon premier enfant. J'étais la première de mon cercle d'amies à devenir mère. Un beau grand saut dans le vide ; ce bébé est arrivé comme une belle surprise. Après trois grandes respirations profondes et le regard de mon homme dans le mien ; on le fait on va devenir parents. Je suis terrorisée face à l'idée de donner naissance. Ma mère n'a pas eu une naissance positive, elle a dû subir une césarienne endormie et n’a pu me voir que 24h suivant ma naissance.


À l'époque ; il y a 11 ans. « Doula - photographe de naissance » ce sont un peu des termes inexistants. J'avance donc doucement et je m'informe où je peux. On suit des cours prénataux privés et ce que j'en retiens c'est que ça va faire mal et que je vais probablement déféquer en poussant ; géniiiiiial. Elle me parle davantage des interventions possibles et de la pharmaceutique de ce que je vais vraiment vivre lors de la naissance de mon enfant dans ma tête, dans mon corps, dans mon esprit et de quelle manière cela va transformer ma vie.


Le jour J arrive. Je me surprends à bien gérer les contractions malgré le fait que je suis provoquée. Je demande la péridurale à 8cm en pleine phase de transition. S'en suit une cascade d'intervention ; pitocin et des forceps pour une très longue décélération de 12min. Au moment de la naissance de mon fils ; mon homme est dans un coin de la pièce loin de moi, car il y a énormément de personnel dans la chambre et j'ai les yeux fermés. On me crie d'ouvrir mes yeux que bébé est arrivé. J'ai bel et bien un bébé sur moi ; mais j'aurais l'impression pendant plusieurs semaines que je n'ai aucune idée d'où il vient. Je ne l'ai pas vu naître. Je comprends maintenant que j'ai eu un délai d'attachement induit certainement par un trauma de naissance. J'ai également eu un hématome vaginal ; qui m'empêchera de me tenir debout plus d'une heure à la fois pendant plusieurs mois. 


J'ai somme toute adoré donner naissance : le travail, les contractions, les hormones. Mais la finalité me laisse un goût amer. J'ai craint de perdre mon bébé, j'ai eu l'impression qu'on me l'a arraché bien plus que je lui ai donné la vie. Je ne le sais pas encore, mais cette première naissance m'amènera à vouloir en savoir plus sur la physiologie, les protocoles et le monde des naissances. Elle sème quelque chose en moi.


«Je n'ai pas vu mes enfants naîtrent comme j'ai vue naitre les bébés des dizaines de femmes que j'ai accompagnés avec mon métier.»


Quelques années plus tard après la naissance de mon deuxième enfant, je deviens infirmière en salle d'accouchement. J'ai envie d'aider, supporter les femmes dans ce moment tellement important.  


Je vois des femmes subir leurs contractions et des inductions. Elles sont rarement préparées. Je vois des femmes fortes, résilientes ; je vois des femmes dans des états d'esprit tellement altérées qu'elles perdent la notion du temps, de qui est dans la chambre ; des actions de leurs partenaires. 


Je vois les partenaires présents ; soutenants ; parfois avec un sentiment d'impuissance, mais le plus souvent très à l'écoute des besoins de leur conjointe. Une danse s'observe parfois et elle m'émeut à tout coup ; elle bouge ; le partenaire aussi. Il se penche pour trouver son regard ; ses mains qui la soutiennent ; les points de pressions. Je vois le changement dans le regard du ou de la partenaire qui observe sa femme en travail. La femme elle bien souvent a les yeux fermés ; dans son monde intérieur. La réaction des pères ou du partenaire significatif est bien souvent ce qui m'émeut le plus en salle des naissances. 


Cela me ramenait aux propres naissances de mes enfants. Ne pas avoir vu mon homme. Son regard ; ses mains posées sur moi. Je n'ai pas vu ses yeux lors de la naissance de nos enfants, j'étais bien trop obnubilée à observer mon bébé. Je n'ai pas vu mes enfants naître comme j'ai vu naître les bébés des dizaines de femmes que j'ai accompagnées avec mon métier. Ça va me manquer toute ma vie. Je dois être une visuelle il faut croire. Mais ces instants me manquent. Je sais que certaines femmes ont la chance qu'on leur propose un miroir. Je n'ai pas eu cette chance. Comment peut-on ne pas voir l'arrivée au monde de notre plus belle création ? Les femmes devraient voir ce qu'elles accomplissent.


«La photographie ; cet art thérapie»


Puis au fil des années j'ai vu des femmes vivrent des traumas, être déçue de l'issu de leur naissance. Je les voyais tenter de se refaire une séquence des événements, de se trouver des images mentales de ce qu'elles venaient de vivre.


Pensez aux deuils périnataux ; ces bébés qui naissent, dans le silence, la stupeur, l'incompréhension et l'immense tristesse de leurs parents. Au fil des années ; la gestion de ce deuil a grandement évolué et nous avons appris que de prendre des photos du bébé avec leurs parents et que d'immortaliser les détails de leur nouveau-né pouvait les aider dans leur processus de deuil. Que ces images devenaient des souvenirs précieux qui leur permettaient d'avancer ; de se souvenir. Penser aussi lorsqu’il y avait une séparation à la naissance; instinctivement les partenaires prennent des clichés à montrer à maman. C'est un besoin. Le fait d'avoir des images tangibles est aidant, apaisant. Ces images supportent le cheminement que nous avons besoin de faire pour avancer.


Pour moi cette thérapie s'applique aux naissances. Autant si vous vivez une naissance extatique dans votre plein pouvoir. Voir la transformation qui s'opère dans les yeux de votre partenaire, vous voir en puissance ; vous voir devenir une famille ; devenir mère ; attraper votre bébé. Les naissances restent imprévisibles malgré toute la préparation en amont et parfois la vie apporte des défis ; parfois les événements ne se déroulent pas selon vos souhaits. Ces clichés permettent alors de créer une ligne du temps, elles vous accompagnent dans le tissage de ce qui a été ou aurait dû être. Elles donnent parfois un sens à ce qui n'en avait pas...


«La transition la plus importante de ma vie de femme»

Enfant, j'ai des souvenirs photos de mes premiers pas, mon entrée à l'école, de mon bal de sixième année. Comme jeune fille, j'ai des photos de l'arrivée de mes ménarches, j'ai en image ma première communion (un autre sujet ; un jour je demanderais une apostasie, on y reviendra surement), de mon arrivée dans l'âge adulte, mais je n'ai aucune image de moi qui devient mère ! C'est un non-sens. La transition la plus importante de ma vie de femme sous silence. Et pourquoi ?  Un peu la faute de la société moderne. Qui m'avait dit que ce serait terrible, que je ne voudrais pas de souvenir de ce moment difficile à passer. On m'avait dit que c'était dangereux ; risqué. Je me souviens on m'a dit plusieurs fois que je ne supportais pas bien la douleur et que ça serait donc difficile d'accoucher. Quel mensonge.  Personne ne m'avait pas parlé de la transformation incroyable que j'allais vivre dans mon couple, dans ma psyché et dans toutes les fibres de mon corps. Que je ne regarderais plus jamais mon homme de la même façon, que je me sentirais puissante et que je sentirais que j'avais maintenant un but réel dans la vie. Et oui ; la première naissance fut mitigée en termes d'appréciation. Mais en termes de transformation elle fut cataclysmique.

Peu importe votre besoin, je pense que toutes les naissances devraient être documentées...

Pour la transformation,  Pour le rituel,  Pour la prévention ou la thérapie  Pour les souvenirs


Pour vos enfants.







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